ÉCHÉANCES

Militante un jour…

Je me suis toujours sentie l’âme d’une militante — mais pas au sens institutionnel du terme.
Dès l’âge de 17 ans, j’écrivais des articles d’analyse sociale et politique dans le journal de mon lycée, créé à l’initiative de mon professeur de français, Laurent Danchin, et que nous avions intitulé  » The fool on the Hill », tout un programme ! C’était le premier journal lycéen de l’établissement, distribué gratuitement, lu et débattu — parfois âprement — jusque dans la salle des professeurs.

Mon engagement fut d’abord celui des idées, des mots, d’une lucidité encore balbutiante. Ce n’est qu’en 2004, après une longue période de défiance envers les formes classiques de la représentation politique, que j’ai franchi le pas de l’engagement électoral.

J’étais déjà convaincue que l’alternance n’était pas synonyme de changement, surtout pour ceux d’entre nous qui vivent à la marge des récits officiels. Certains voient dans le vote blanc une forme de protestation. Mais pour moi, refuser de participer au scrutin tout court était une manière plus radicale — et plus cohérente — de marquer un désaccord profond, non pas seulement avec les candidats, mais avec les termes mêmes de la représentation politique.

Cependant, face à l’inéluctabilité du rapport de force et du combat politique, j’ai cru qu’en créant notre propre parti, nous pourrions faire autrement. C’est ainsi qu’est né notre mouvement, l’UFCN, porté par une vision que nous voulions résolument avant-gardiste. Nous fûmes les précurseurs et notre engagement, absolument nouveau, a quelque temps après permis de voir émerger de nombreux petits partis prêts à s’engager sur la scène militante et politique.

Depuis les années du mitterrandisme, les citoyens français de référence afro-maghrébine étaient, d’une manière quasi automatique, rattachés à la gauche, qu’ils en soient l’outil, l’instrument ou l’alibi. Les grandes marches des beurs et d’autres mobilisations en étaient l’expression symbolique. Ce lien, à la fois contraint et parfois volontaire, semblait aller de soi, tant il reposait sur des promesses d’égalité et d’intégration portées par la gauche. Mais à partir des années 2020, un changement de giron s’est opéré : ces citoyens, autrefois ancrés dans une fidélité quasi aveugle à la gauche, ont progressivement commencé à se détourner de cette affiliation historique.

Désormais, nombreux sont ceux qui cherchent refuge dans la droite, non pas par adhésion à ses principes intellectuels ou idéologiques, mais dans une dynamique d’embourgeoisement essentiellement matériel. C’est aussi, pour certains, une forme de désespoir : une façon de dire — voyons si l’apocalypse réveille enfin les consciences. Symboliquement, comme on ne peut plus sauver les meubles, on brûle la maison. Ce basculement n’est pas le fruit d’une réflexion politique profonde mais plutôt la conséquence d’une désillusion face à la gauche et d’une quête de reconnaissance sociale et économique dans un contexte de désenchantement général à l’égard des idéologies traditionnelles, désormais perçues comme inopérantes.

Mais plus on s’informe, plus l’ampleur de la supercherie saute aux yeux – et moins on accepte d’etre les dindons de la farce. Cette prise de conscience m’a poussée à m’impliquer pleinement, jusqu’à fonder avec d’autres militants notre propre parti. De 2004 à 2008, j’ai mené mon engagement politique de front avec mon activité associative, occupant successivement les postes de secrétaire nationale de l’UFCN et du RC, puis de présidente du MCD.

Aujourd’hui, cette période me semble lointaine, presque irréelle, comme si je m’éveillais d’un songe obstiné, nourri d’espoirs que l’expérience a dissous. Cette expérience, riche et dure en enseignements, s’est révélée également amère, notamment en ce qui concerne le rôle de l’élection comme symbole de la démocratie.

Tout cela appartenait à une autre époque, bien avant que je ne commence à voter blanc… avant même que je ne décide de ne plus voter du tout. Mon engagement politique est désormais un chapitre clos, une époque révolue qui me semble presque étrangère.

Je n’ai jamais été naïve au point de croire que l’élection d’un parti, qu’il soit de gauche, de droite ou du centre, puisse bouleverser fondamentalement nos vies. L’expérience a prouvé que l’alternance des uns et des autres ne changeait rien pour moi, en tant que femme voilée d’origine afro-maghrébine, fille de parents immigrés.

C’est pourquoi je n’ai jamais adhéré ni à un parti du gouvernement ni à ce qu’on appelle un petit parti. Pourtant, j’ai traversé une phase où l’implication politique m’est apparue comme un impératif moral : il m’a semblé incohérent de me contenter de dénoncer la corruption du système sans chercher à agir. On nous répétait que seule l’action pouvait faire bouger les lignes. J’ai voulu y croire.

Le hasard – bien que je ne croie guère à la coïncidence – a voulu que ma première candidature aux cantonales, en mars 2004, survienne dans un contexte très particulier : une semaine après la promulgation de la loi du 15 mars 2004 sur les signes religieux à l’école. Une loi prétendument universelle mais qui visait en réalité le voile islamique.

Cet épisode a renforcé ma conviction quant à l’homogénéité du paysage politique : l’Assemblée nationale a adopté ce texte à 93,2 % des voix, toutes tendances confondues.

L’UMP l’a soutenu à 90 %, le PS à 93 %, l’UDF à 43 %, le PCF à 31 %, et même 33 % des non-inscrits ont voté pour.

Néanmoins, malgré les obstacles – l’absence totale de visibilité médiatique, l’absence de moyens pour diffuser une propagande digne de ce nom, l’absence de QG, l’absence de relais parmi les représentants officiels et officieux de la communauté musulmane – nous avons obtenu des résultats plus qu’honorables grâce à des militants et des militantes convaincues, que je salue encore une fois ici.

Après vingt ans d’engagement auprès des jeunes, mon parcours associatif et militant a pris fin. L’usure a joué son rôle – le corps impose ses silences là où l’esprit voudrait encore lutter – mais d’autres facteurs ont également pesé, plus profonds que je dévoilerai peut-être un jour.

Je fus successivement secrétaire nationale de l’UFCN et du RC (Union Française pour la Cohésion Nationale et Résistance Citoyenne), puis présidente du MCD (Mouvement Citoyen pour la Diversité). Entre 2004 et 2008, j’ai participé à huit échéances électorales. Et bien qu’il n’y ait eu en cela aucun calcul, j’ai commencé ce cycle électoral dans ma ville natale en 2004, et je l’ai clôturé également dans ma ville natale en 2008. Comme une boucle qui se referme à son point de surgissement.

Pour aller plus loin :

  1. Candidate aux élections cantonales du 21 mars 2004 / Hauts-de-Seine (92) – NANTERRE / Canton SUD-EST
  2. Candidate à l’élection européenne du 13 juin 2004 / Île-de-France
  3. Candidate à l’élection sénatoriale septembre 2004 / Hauts-de-Seine (92)
  4. Candidate à l’élection législative partielle du 28 novembre 2004 8ème circonscription des Yvelines
  5. Candidate aux législatives partielles du 13 mars 2005, 6ème circonscription des Hauts de Seine (Neuilly- Puteaux)
  6. Candidate à l’élection législative du 10 juin 2007 / Hauts-de-Seine (92) – 4e circonscription (Nanterre-Suresnes)
  7. Candidate à l’élection cantonale du 9 mars 2008 / Hauts-de-Seine (92) – NANTERRE / Canton NORD
  8. Candidate à l’élection municipale du 9 mars 2008 / Hauts-de-Seine (92) – NANTERRE / Canton NORD