Commission sur le voile intégral : une croisade morale en mal d’ennemi
Voile intégral en France : une alliance transpartisane révélatrice
Le 8 juin, André Gérin, député communiste du Rhône et maire de Vénissieux, a déposé une proposition de résolution visant à la création d’une commission d’enquête parlementaire sur le port du niqab et de la burqa.
Cette initiative, signée par 58 députés de tous bords, relance avec une ferveur inquiétante le débat sur le voile intégral et la laïcité en France. Une fois de plus, une question ultra-minoritaire devient un enjeu politique majeur, révélateur non pas d’un danger réel, mais d’une obsession nationale parfaitement assumée : le contrôle des corps musulmans, sous couvert d’un universalisme républicain à géométrie variable.
Voile intégral et laïcité : une commission d’enquête pour un fantasme politique
La création d’une commission d’enquête ! Rien que ça ! Comme si l’on faisait face à une crise nationale d’ampleur. Rappelons pourtant qu’un tel dispositif est généralement réservé à des événements graves, aux conséquences majeures dans l’opinion publique.
Ainsi, aux côtés de la canicule de 2003 (15 000 morts), de l’affaire d’Outreau en 2005 (véritable séisme judiciaire), ou encore des débats sur la gestion des entreprises publiques et la fiscalité locale, voilà que la burqa s’impose comme une urgence républicaine. Un objet textile érigé en scandale d’État, qu’il faudrait disséquer sous les projecteurs d’une enquête parlementaire. On frôle le grotesque, mais avec le plus grand sérieux institutionnel.
La stratégie de la législation prétexte
Déjà en 2003, certains politiciens décrétaient que la laïcité était inconciliable avec le port du foulard. Les commissions Stasi et Debré, loin d’éclairer le débat, ont alors servi d’alibi commode pour légiférer sous couvert de neutralité républicaine.
Et aujourd’hui encore, les artisans de l’exclusion poursuivent leur œuvre. À coups de concepts vidés de leur sens – à commencer par celui de laïcité –, ils continuent d’intoxiquer l’opinion et de distiller, sous un vernis de rationalité, le poison de l’islamophobie.
Voile intégral : un fantasme médiatique savamment orchestré
Rien ne me fait plus tristement sourire que l’emballement théâtral des médias, en quête frénétique du moindre chiffon noir pour alimenter le feuilleton de l’indignation. À chaque fois, comme en 2004, il faut bien « illustrer » ce pseudo débat démocratique : alors on part à la chasse à la burqa, on traque la silhouette fantomatique qui viendra justifier la polémique. Mais le scoop se fait attendre, car le prétendu fléau est quasi inexistant dans les quartiers. L’ennemi est introuvable, et c’est précisément ce qui le rend si utile.
Un discours qui tourne en boucle
Il suffit de lire attentivement la proposition pour constater que les arguments n’ont guère évolué depuis 2004. La preuve ? Remplacez le mot « burqa » par « voile », et la mécanique apparaît au grand jour. Même rhétorique, mêmes fantasmes, même cible. Seul le prétexte change, pour que l’obsession reste. Avis à celles et ceux qui se croiraient à l’abri parce que le niqab ne les concerne pas directement : aujourd’hui la burqa, demain votre foulard.
Et que dit cette proposition dans son unique article ? Qu’il s’agirait de « lutter contre ces méthodes qui constituent une atteinte aux libertés individuelles sur le territoire ». Là encore, on atteint des sommets d’ironie. Car à bien y regarder, ce ne sont pas les pratiques religieuses qu’il faut redouter, mais bien ces lois successives, toujours plus ciblées, toujours plus liberticides, qui sous couvert de défendre la liberté… ne s’appliquent qu’à restreindre celle des musulmans.
Liberté de culte et voile intégral : le retournement orwellien de la laïcité
Pour mémoire, citons quelques jalons récents de cette offensive légale déguisée en vertu civique : la loi liberticide du 15 mars 2004, véritable acte fondateur de l’exclusion sous prétexte de laïcité. Puis, en juin 2008, la pétition « Un cri contre le racisme et l’intégrisme », portée par Caroline Fourest, Corinne Lepage et Pierre Cassen, trio désormais bien rôdé dans l’art de maquiller l’hostilité sous les habits de la vigilance républicaine. Une fois encore, sous couvert de « lutte légitime », c’est bien l’islam qui était visé, et les musulmans qui étaient désignés.
Plus récemment, la pétition « Halte au voile », toujours dans la même logique de diabolisation, mais avec encore moins de subtilité, s’inscrit dans cette entreprise méthodique de fabrication du consensus islamophobe. Une orchestration millimétrée du soupçon, travestie en combat éclairé.
Voile intégral et arsenal législatif : quand la loi devient outil d’exclusion
Prenons encore quelques exemples : la proposition de loi Hostalier (n°1080), visant à interdire le voile dans les lieux publics ; les propositions 1061 et 3056, prétendant « lutter contre les atteintes à la liberté de la femme, résultant de certaines pratiques religieuses ».
>Derrière cette avalanche de textes, toujours la même cible, toujours la même stratégie d’enrobage moral : criminaliser l’islam au nom des droits.
Mais toutes ces lois, pétitions et autres productions législatives, pour ne pas dire défécations institutionnelles, ne démontrent qu’une chose : la maîtrise de l’amalgame, la manipulation du langage, l’usage sélectif de la « liberté d’expression », et l’art consommé de produire des écrans de fumée. On vide les concepts, on détourne les principes, on maquille la coercition en émancipation.
Au fond, tout cela n’est rien d’autre qu’une déclaration de guerre lente, méthodique, continue — par lois, tribunes, reportages, colloques, pétitions, plateaux télé — contre l’islam et ceux qui s’en réclament.
Et cette guerre-là, on la mène au quotidien, sans relâche, et surtout sans jamais rendre de comptes, contre la liberté de croyance de millions de citoyens, qu’on dépouille, jour après jour, de leur droit le plus élémentaire : exister sans se justifier.
Voile intégral et islamophobie d’État : la guerre froide législative
Il y a certes une violence à dénoncer, mais elle ne vient pas d’où l’on prétend. Elle ne se cache pas derrière un voile, elle s’exerce à visage découvert — et toujours dans le même sens. C’est la violence froide et systémique de la discrimination : à l’embauche, dans l’accès au logement, dans les loisirs, dans les écoles. C’est celle que subissent des centaines de jeunes filles, exclues non pour ce qu’elles font, mais pour ce qu’elles sont censées représenter.
C’est aussi une violence plus insidieuse, presque invisible à force d’être banalisée : celle d’un ethnocentrisme arrogant, hérité du passé colonial, qui érige ses propres normes culturelles en modèle universel. On vous explique que certaines façons de vivre seraient supérieures à d’autres, que l’émancipation est une affaire de dévoilement, et que la liberté ne se conçoit qu’en conformité avec un idéal républicain très particulier — blanc, laïc, sécularisé jusqu’à l’os.
De la laïcité au tri républicain : quand l’universalisme devient conditionnel
On concède du bout des lèvres une liberté de conscience, tout en niant bruyamment la liberté de culte. La loi du 15 mars 2004, en est la parfaite illustration : sous couvert de neutralité, elle a légalisé l’exclusion de jeunes collégiennes musulmanes. Initiée par le Parti socialiste, finalisée par l’UMP, et applaudie par presque toute la classe politique, cette loi a gravé dans le marbre une inégalité de traitement.
Alors faut-il vraiment distinguer entre ceux qui fabriquent ces lois et ceux qui les laissent passer ? Faire ou laisser faire, quand le résultat est le même : la marginalisation des mêmes visages, les mêmes silences coupables, les mêmes applaudissements mal dissimulés.
Cette dénaturation du sens profond de la laïcité n’annonce rien d’autre qu’un avenir sombre.
Un avenir où la gauche et la droite se donnent la main non pour défendre les droits, mais pour séduire les peurs. L’électoralisme n’a pas d’état d’âme, seulement des cibles.
Voile intégral et sentiment d’exclusion
Et pour ceux qui font mine de ne pas comprendre : si tant de Français s’identifient aux Palestiniens, ce n’est pas un effet de mode. C’est parce qu’eux aussi vivent ici un sentiment d’exclusion, de dépossession, d’apartheid symbolique, où l’on décide à leur place de la manière acceptable d’exister.
Mais le racisme et l’islamophobie ne se dissipent pas à coup de colloques ou de tribunes bien-pensantes. Ce ne sont pas des malentendus, ce sont des mécanismes. Et tant que nous réagirons selon le calendrier médiatique imposé par d’autres, nous resterons prisonniers d’une actualité fabriquée… qui ne vise qu’à justifier la prochaine loi d’exception.
De 1989 à aujourd’hui : voile intégral, laïcité et continuité coloniale
Cette offensive n’a rien de neuf. Elle s’inscrit dans une continuité glaçante, celle qui remonte à 1989, lorsque l’affaire de Creil a servi de point de départ à la traque des « mauvais laïcs », ces musulmans qu’on accusait déjà de ne pas comprendre la République — ou pire, de lui résister. Depuis, le récit n’a cessé de se répéter : les mêmes anathèmes, les mêmes commissions, les mêmes lois d’exclusion travesties en progrès social.
Mais toute personne dotée d’un minimum de lucidité sait où se trouve la véritable hostilité à la laïcité : elle ne vient pas de ceux qui croient, mais de ceux qui veulent administrer la croyance. Elle vient de ces néo-laïcards, héritiers d’un pouvoir colonial républicanisé, qui ont remplacé la matraque par le concept, et l’assignation raciale par le soupçon culturel.
Aujourd’hui, cette « dictature des mots » prépare lentement mais sûrement le terrain à un véritable lynchage symbolique, puis social, puis politique. Il ne s’agit plus d’intégrer, mais de normaliser. D’éduquer, mais à condition de formater. De tolérer, à condition de gommer.
On veut soumettre une population issue de l’immigration non pas à la loi commune — celle de 1905, jamais respectée dans les colonies — mais à une laïcité punitive, taillée sur mesure pour exclure ceux qu’on n’a jamais vraiment voulu inclure.