Ton psy… musulman  ou pas ?

Le choix est pour certains cornélien. Mais que l’on se rassure, comme pour des milliers d’autres questions, la réponse est « dans notre cœur », vaste réservoir où l’on pioche au choix et à volonté, les questions et les réponses. Les maux et les remèdes, les problèmes et les solutions…

Selon certains, il semblerait que les musulmans aient plus besoin de soins psychologiques que le reste des individus de notre société ! Et si nos ancêtres gaulois ou non d’ailleurs, n’allaient pas voir de psy c’est bien sûr, parce qu’il n’y avait pas de psy aussi compétent que ceux d’aujourd’hui ! Mais c’est surtout qu’ils étaient tellement ignorants de leur « moi intime » de leurs « désirs profonds », de leurs « blessures de l’enfance » qu’ils ne cherchaient nullement à « s’assumer eux-mêmes » ou à « retrouver l’estime de soi » ou encore à se débarrasser de tous les carcans d’une culture austère et rigide qui ne laisse bien sûr aucune place à l’introspection, au regard de soi sur soi, au nombrilisme narcissique, en un mot à l’égoïsme féroce caché sous les oripeaux d’un intellectualisme mondain, de musulmans qui se connaissant, connaitront le monde, et leur seigneur tant qu’à faire.  

Il est vrai que, pauvres d’eux et ignorants qu’ils étaient, nos parents et arrières parents étaient trop occupés à faire avancer le droit du travail, à se défendre contre l’exploitation, à limiter les journées de travail de 12 heures, à imposer une grille des salaires moins indécente, à revendiquer le droit de grève.….  Sans compter leur engagement pour défendre les frontières de la France, ou leur lutte pour la libération des peuples colonisés. Ce qui leur prenait tant énergie et parfois même la vie. Pétris d’un sentiment non pas de soi, mais d’un « sentiment démocratique[1] », ils refusent toute oppression de façon universelle c’est-à-dire d’où qu’elle vienne quitte à défendre son propre oppresseur quand celui-ci est oppressé par un tiers.

Jetons allégrement le bébé avec l’eau du bain de l’acculturation, mais aussi du dénigrement des « musulmans d’avant » qui ne nous arrivent pas à la cheville msakan[2], car ils ne connaissaient véritablement, ni l’Islam ni ne comprenaient la complexité de leur « moi profond ».

Naviguant désormais entre l’image qu’il a de lui-même, qu’il va s’empresser de modeler sur l’image idéale qu’il se fait de lui-même, le musulman évolue dans sa petite bulle où il y a « moi » et « moi », « je » et « je ». La communauté musulmane existe bien sûr ! C’est un vaste marché et le plus convoité. Mais c’est aussi un cantique, le cantique des cantiques, que l’on chante de temps à autre pour exorciser les démons de l’horrible division, ou afin d’appeler les esprits de la sainte fraternité.

Alors même que ces psys sont consultés pour leur empreinte religieuse, ils s’en défendent en disant à qui veut les entendre qu’ils prennent les patients d’où ils sont pour les emmener où ils souhaitent aller ! Ils font de cette neutralité un point d’honneur. L’ultime consécration est donc de pouvoir dire sur un ton virginal, que l’on a reçu dans son cabinet des individus non musulmans et que cela s’est très bien passé, car on a su garder son professionnalisme, en un mot sa neutralité, face à une religion qui ne peut que limiter et pervertir la qualité de l’écoute prodiguée.

Universalisme moderne qui veut que tout le monde aime tout le monde, tout le monde discute avec tout le monde sous couverture d’esprit de tolérance, un universalisme bâtard qui ne fait que maintenir et pérenniser les injustices, un grand tapis jeté sur tout ce qui nous sépare des principes véritablement universels.

Quelle école de psychologie, quelles méthodes thérapeutiques ? Gloubi — boulga de psychologie sociale, de coaching, de psychologie cognitive, de développement personnel, d’exorcisme, de recettes de grand-mères et de formules à l’emporte-pièce… la psychologie dite musulmane se caractérise notamment par ses moyens et méthodes qui sont très proches du « cabinet-conseil » en tout genre, qui associe psychologie, coaching et conseil en éducation des enfants, ou encore intervention publique collégiale.

Le monde arabe reste bien sur un monde d’arriéré, car toutes ces sciences molles n’ont pas encore trouvées une place de choix en son sein. Selon des analystes ceci est dû au fait que ces disciplines nécessitent une parole libérée. Or ces populations arabes qui vivent sous des régimes forts et qui de plus pratiquent une religion archaïque ne sont bien entendu pas prêtes à un tel exercice. Dépossédés de l’Estime de soi, ou affirmation de soi, les individus qui composent ces populations sont incapables de s’opposer à toute forme de contraintes ou d’oppression, ou de résister à toute influence sociale destructrice de ce moi sacral.

Bien que dans le monde arabe les femmes soient très friandes d’interprétation des rêves, nous sommes étonnés que ces professions n’y aient pas si bonne presse. Peut-être se souviennent-elles que si le prophète Joseph avait la faculté d’interpréter les rêves, c’était en vertu de sa haute piété. Aujourd’hui on interprète les rêves, car on est psychanalyste ou psy. L’interprétation bénéficie désormais d’une formation purement technique et plus ou moins réglementée.

Toute l’histoire de cette partie du monde dément ces pseudo analyses sur les populations arabo-musulmanes et asiatiques. L’Orient qui a été édifié depuis des millénaires, à partir d’idées ¾et non de discours psychologiques qui explosent l’élan collectif en mille et une individualités égocentrées (a pu sauvegarder les hautes aspirations d’hommes pétris de valeurs et qui regardent vers le haut dans une quête de transcendance, et non pas l’ombre que ferait leur belle image sur un lac sans remous, ou dans un miroir de Venise.  

Sur le plan de la stricte observation, on remarque que la séance de psy est en train de détrôner la roqiya qui devient le remède des plus pauvres, des moins funs, des littéralistes, des antis modernité… (le tarif d’un raqiy varie entre 30 à 50 euros). La séance de psy est donc relative au changement de standing d’une catégorie de musulmans (le tarif d’un psychologue varie entre 40 et 70 euros pour une consultation de 20 à 30 minutes).

Les démons ont été remplacés par d’autres démons. Par la roqya, on exorcisait les patients touchés par les djinns, la sorcellerie, le mauvais œil, et autres maux occultes… Par la psychologie on chasse d’autres démons, ceux de forces aveugles qui nous habitent et qui déterminent un comportement qu’il faut impérativement débrider pour libérer la parole d’un inconscient pétri de désirs sexuels, d’agressivité, de pulsions de vie et de mort et de pleins d’autres choses tout aussi séduisantes.

Afin d’anticiper sur d’éventuelles remarques ou froncements de sourcils, mon propos n’a nullement pour objet de dénigrer la souffrance humaine ni de nier qu’une aide soit parfois indispensable pour accompagner certains patients souffrant de troubles psychiques. De même que je ne doute pas une minute que l’écoute attentive d’un psy peut soulager momentanément ou plus durablement certains patients. Même si l’on est en droit de constater que la misère des uns fait trop souvent le chou gras des autres.

Et ceux qui ne peuvent pas payer une consultation de psy ? Eh bien, ils rentrent dans la statistique freudienne selon laquelle : « Les pauvres ont du bénéfice à être malade »

L’emprise idéologique de cette école étant ce qu’elle, le modèle thérapeutique défendu par les musulmans utilise des outils et une lexicologie ses pères psychologues occidentaux. Comment pourrait-il en être autrement, quand leur formation s’est faite uniquement au sein d’université majoritairement partisanes de la psychologie freudienne et de l’existence de processus psychiques inconscients. Ce qui conduit à une définition précise de la nature humaine qui est loin d’être celle de l’Islam. 

Maitre ni de nos émotions ni de nos actes, l’hypothèse d’un inconscient comme sortie d’un chapeau vient par magie expliquer d’une seule et unique façon tous les maux des hommes. L’Inconscient, cette arrière-scène où se joue notre véritable existence et qui détermine en réalité toute notre vie.   Cette entité indifférenciée est sans histoire sinon celle racontée par la psychologie freudienne, et qui s’explique par un seul mot : Œdipe. Tout enfant en âge d’acquérir le langage manifeste des élans incestueux. Il désire tuer son père pour coucher avec sa mère ou tuer sa mère pour coucher avec son père selon qu’il est une fille ou un garçon. Tous les cas de tous les patients doivent être traités en vertu de ce schéma.

Balayés les troubles liés à la discrimination, au racisme, à l’oppression, au harcèlement, et autres violences sociétales ou familiales[3]. Seules l’estime de soi et la reconnaissance de soi constituent la clef de la libération égotique, et surtout de la réussite.   Réussite de quoi ? On ne nous le précise pas. Mais on suppose qu’il s’agit de se « libérer » de toutes ces pulsions intérieures qui empêchent de se lancer dans le monde comme dans un grand gâteau duquel il faut arracher sa part, avec ténacité, et motivation. Savoir ce que l’on veut, se donner tous les moyens de l’obtenir et ne jamais renoncer quoiqu’il nous coute !  

Repentance, regret, remords, pudeur, chasteté, patience… Il faut bien entendu bannir toutes ces notions qui empêchent d’avancer, de « positiver ». Ceci en totale cohérence avec la thèse de Freud sur les religions qui ne sont selon ses propos rien de moins que « des névroses de l’humanité » La psychologie musulmane ou l’Islam n’est plus dans cette histoire la 5e roue du carrosse.

Loin d’être une attaque ad hominem, il s’agit d’une invitation à réfléchir d’abord à la pertinence de pratiquer une psychologie sans en avoir étudié avec sérieux les tenants et les aboutissants. Et ensuite à travailler d’arrachepied à une psychologie qui nous ressemble, autrement dit qui ne fait pas l’économie de Dieu et des sources spirituelles de référence. Ce qui représente bien plus que de commencer une séance de thérapie par la basmallah et de la finir par une invocation, tout en la ponctuant ici et là par un verset coranique,  ou une tradition prophétique.

La notion de désir est centrale en Islam, mais faut-il la traiter avec les outils de la psychologie freudienne ? Quels sont les mots arabes pour dire inconscient ou sexualité ? A quelle réalité renvoient-ils ? Quel est la position des psychologues musulmans à l’égard des débats crisiques qui secouent toutes ces sciences dont l’objet est le psychisme ? Quelle est leur position vis-à-vis de la psychologie d’Averroès et de sa thèse sur l’unicité de l’intellect ?

Le psy musulman doit se montrer plus que quiconque prudent, critique, voire subversif, à l’endroit de la psychologie occidentale, de ses schémas, et de son langage. Surtout lorsque l’on sait que Freud n’a jamais guéri PERSONNE durant toutes ses années de clinicien. Peut-on par ailleurs passer sous silence ou ignorer la confidence faite par Freud qui était invité à faire une série de conférences aux états unis, à Jung, et Ferenczi : « Ils ne savent pas que nous leur apportons la peste. »

On entend à juste titre surement, qu’il faut mettre des mots sur les maux.. Mais ne serait-il pas nécessaire avant cela, de redéfinir le sens des mots que l’on veut mettre sur ces maux afin de les dépouiller de tous les clichés ; des mots que l’on a usés jusqu’à la corde au point qu’ils ne veulent plus rien dire, sinon servir à véhiculer un discours plutôt conventionnel.

« En 1980, la majorité des références freudiennes ont été retirées du DSM notamment pour absence de scientificité. En 2004, l’INSERM a produit un épais rapport démontrant l’inefficacité thérapeutique de la psychanalyse pour la majorité de troubles mentaux. En 2010, un rapport de la HAS (Haute Autorité de la Santé) conclut que la psychanalyse n’est pas à recommander pour traiter l’autisme ! [4]»

Et si nous commencions par lire les arguments des thérapeutes qui critiquent l’inconscient et ont décidé de s’en passer.

Et si nous commencions calmement à lire tous ceux qui ont fait la critique acerbe de la psychanalyse[5] et qui suite à cela ont essuyé les foudres des plus farouches défenseurs de la discipline.

Et si nous nous penchions sur les différentes théories élaborées par nos plus grands penseurs afin de voir s’ils ont établi des cartographies du psychisme, et posé quelques définitions dont nous pourrions nous servir ? Ont-ils établi les rapports de la pensée avec la réalité ? Nafs, ruh, ‘aql, qalb… A quelles réalités ces termes correspondent-ils ?   Peut-on les mettre en corrélation avec les idées de conscience, d’inconscient ? Quelle est la place, de la religiosité ou de la piété dans cette « machine » interne ?

Peut-être constaterons-nous que nous sommes en train de nous aliéner à un monde qui en en tentant de briser l’unité de notre moi, travaille à étouffer les capacités d’une appréhension intelligée du monde, et d’une pensée transcendantale offrant un accès à la connaissance de Dieu.

Nanterre le 23 février 2019

[1] Notion empruntée à Malek Bennabi

[2] Expression populaire en arabe qui signifie « les pauvres ! »

[3] Voir les thèses de Frantz Fanon

[4] La psychanalyse nuit gravement à votre santé, Article en ligne Médiapart, Pierre Laroche, 30 nov. 2013.

[5] Mensonges freudiens : Histoire d’une désinformation séculaire, Édition Pierre Mardaga, septembre 2002, de Jacques Bénesteau ; Secrets et dangers de la psychanalyse : Freud n’est pas votre ami, éditeur : lucia-canovi.com, décembre 2013 ; Le livre noir de la psychanalyse – Vivre, penser et aller mieux sans Freud, Catherine Meyer, ancienne élève de l’École Normale Supérieure et éditrice depuis quinze ans, et autour de Mikkel Borch-Jacobsen, philosophe et historien de la psychanalyse, Jean Cottraux, psychiatre et chercheur, Didier Pleux, directeur de l’Institut français de thérapie cognitive, et Jacques Van Rillaer, professeur de psychologie, érudit passionné et critique de l’œuvre de Freud ; Le crépuscule d’une idole — L’affabulation freudienne, Michel Onfray, Éditions Grasset, avril 2010.

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