De la Marche pour l’égalité aux mirages sarkozystes

Chronique d’une confiscation politique et d’une autonomie empêchée

La trahison politique des minorités ne date pas d’hier. Depuis les années 1980, une partie significative des Français d’origine afro-maghrébine s’est tournée vers la gauche, en quête d’un abri politique face à une République souvent aveugle à leurs réalités. Ce ralliement, fruit d’un espoir postcolonial, s’inscrit dans une époque où la gauche semblait, du moins en façade, porter les idéaux d’égalité, de justice sociale et d’antiracisme.

La trahison politique des minorités sous Mitterrand : espoirs brisés et récupération socialiste

L’élection de François Mitterrand en 1981, premier président socialiste de la Ve République, cristallise ces attentes. Le tournant abolitionniste de Robert Badinter, les balbutiements des politiques de la ville avec la circulaire Mauroy, et une timide ouverture des institutions à la diversité donnaient alors l’impression d’un changement de cap historique.

En 1983, la Marche pour l’égalité et contre le racisme — qu’on appellera rapidement « la Marche des Beurs » — part de Marseille pour arriver à Paris. C’est un événement inédit dans l’histoire politique française : jamais la jeunesse des quartiers populaires ne s’était exprimée aussi frontalement. L’État socialiste accueille cette marche avec bienveillance, mais aussi avec un soupçon de récupération. Mitterrand reçoit les marcheurs à l’Élysée, leur accorde une vague promesse de carte de séjour de dix ans… et enterre le mouvement dans la foulée.

SOS Racisme ou la trahison politique des minorités par neutralisation des luttes

Un an plus tard, SOS Racisme est créé avec le soutien du Parti socialiste et de personnalités comme Julien Dray ou Harlem Désir. L’objectif : capter l’énergie des luttes antiracistes tout en les canalisant dans une forme inoffensive. Le mouvement se construit dans l’ombre de l’État, en opposition aux voix plus radicales issues de l’immigration postcoloniale, comme le Mouvement des travailleurs arabes (MTA) ou les comités Palestine.

La gauche française n’a donc pas inventé l’antiracisme : elle l’a neutralisé. Elle a préféré les mains tendues aux poings levés. La suite logique ? Une lente dépolitisation des enjeux liés à l’égalité, jusqu’à ce que ces sujets soient relégués au second plan.

La trahison politique des minorités par la gauche française

Lors de l’élection de Nicolas Sarkozy en 2007, un tournant s’opère. Le ministre de l’Intérieur qui avait qualifié les jeunes de banlieue de « racailles » en 2005 devient le président qui promeut une « diversité républicaine ». Il nomme Rachida Dati à la Justice, Fadela Amara à la Ville, Rama Yade aux Droits de l’homme. Ces nominations, présentées comme des ruptures, sont en réalité des coups médiatiques.

Fadela Amara, ancienne présidente de « Ni putes ni soumises », se voit chargée de gérer les banlieues sans budget ni marge de manœuvre. Rama Yade s’illustre par des prises de position isolées, avant d’être mise à l’écart. Rachida Dati, devenue ministre de la Justice, subit une mise en scène continue de son isolement au sein du gouvernement Fillon. Sarkozy joue avec le symbole, pas avec le pouvoir.

Ce jeu des apparences prolonge une logique ancienne. Déjà dans les années 1930, les coloniaux étaient invités à défiler lors du 14 juillet, mais jamais associés aux décisions. L’exposition coloniale de 1931, à Paris, avait pour but d’exhiber la diversité de l’empire français tout en confirmant la hiérarchie raciale qui le sous-tendait. L’histoire bégaie : ce que les colonies étaient pour la République d’hier, les minorités visibles sont pour la République d’aujourd’hui — une caution, pas une force politique autonome.

Républicanisme abstrait et verrouillage de toute autonomie politique

L’histoire offre aussi des contre-modèles. Aux États-Unis, après l’échec des politiques d’assimilation forcée, les leaders afro-américains comme Malcolm X ou Stokely Carmichael ont plaidé pour une autonomie politique. Dans les années 1960, les Black Panthers fondent des « survival programs » indépendants de l’État — cliniques gratuites, cantines, éducation alternative — pour construire un pouvoir communautaire en rupture avec le système.

Plus récemment, des figures comme Cornel West, Angela Davis ou Ta-Nehisi Coates ont poursuivi ce travail intellectuel et politique en dehors des partis dominants, refusant de se faire les alibis d’un Parti démocrate souvent aussi complice que le Parti républicain dans le maintien des inégalités structurelles.

En France, l’absence d’un tel contre-pouvoir résulte d’un verrouillage idéologique hérité de la République jacobine : l’État y est censé être l’unique garant de l’intérêt général, toute affirmation communautaire est suspecte. Pourtant, cette conception rigide de l’universalisme — héritée du XVIIIe siècle — produit aujourd’hui l’effet inverse : elle nie les réalités concrètes, masque les discriminations systémiques, et empêche l’émergence d’une pensée politique autonome issue des marges.

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