Islam et modernité : repenser le monde au-delà des illusions du progrès
Le syndrome de l’autosuffisance : un remède nécessaire
Interroger la question avant les termes
Le rapport entre l’islam et la modernité ? Avant même de définir les termes, il est essentiel de questionner la question elle-même. L’important n’est pas seulement de savoir de quoi l’on parle, mais comment on en parle et en quels termes.
Nous devons établir un rapport entre l’islam et la modernité. Si cette question se pose, c’est parce que l’islam, en tant que modèle de civilisation jugé trop traditionnel, est sommé de se positionner par rapport à une société qui se présente comme la norme et l’aboutissement idéal d’un processus historique de développement.
L’islam doit donc clarifier la nature de sa relation, de ses liens et de ses affinités avec la modernité, dont les sociétés occidentales sont l’emblème.
Les poncifs d’un faux antagonisme
Faut-il s’interroger sur le rapport entre deux mondes jugés a priori antinomiques, l’un anti-progressiste et l’autre avant-gardiste ? Si c’est le cas, la question est inopérante, car elle induit déjà la réponse : il n’y a aucun rapport entre islam et modernité.
Nous devons considérer que la question pose un véritable problème. Pour certains, l’islam correspond à une réalité et la modernité à une autre. Dans ce cas, le problème ne peut être résolu que si l’islam rejoint la modernité en abandonnant ses « guenilles ».
Les débats sur la modernisation ou la réforme de l’islam proviennent de désaccords sur la définition de ces « guenilles », c’est-à-dire des éléments perçus comme des vieilleries dont l’islam devrait se débarrasser pour embrasser la modernité.
Pour ma part, poser le problème en termes de calibrage n’a pas de sens. Les musulmans doivent effectuer des ajustements internes en se fondant sur leurs propres normes et outils conceptuels. Ceux-ci sont capables d’apporter les rectifications nécessaires à la revification des enseignements de l’islam et à son efficience civilisationnelle.
L’islam est une vision du monde avec son propre système de valeurs. Il constitue un paradigme intégral.
Qu’est-ce que la modernité ?
Dans l’esprit de la plupart, la modernité est un mode de vie, une organisation sociale et une manière de penser. Selon l’Encyclopédie Universalis, c’est une civilisation qui s’oppose au monde de la tradition.
La modernité représente le passage d’un monde traditionaliste, voire archaïque, à un monde moderne symbolisé par une nouvelle organisation des sociétés humaines. Cette transformation passe par le déclin du religieux au profit du rationnel, rendant la modernité intrinsèquement laïque.
Le rationalisme, souvent accompagné d’athéisme, ouvre la porte au scientisme et à ses théories. Il instaure un nouveau régime de véridiction où la vérité n’est plus révélée mais démontrée.
Dans une société moderne, la raison et le progrès deviennent des valeurs sacrées. L’homme, maître et possesseur de la nature, devient maître de lui-même, ce qui lui confère un sentiment de puissance et l’entraîne vers un individualisme débridé.
Le rendement au détriment du sens
Dans ce monde moderne, la primauté est donnée aux activités économiques et à la productivité individuelle, au détriment du sens et de la finalité de ce travail. La modernité se présente comme un état de pure science et de stricte raison.
L’homme moderne vit pour un travail qui lui permet de vivre au-dessus de ses moyens sans jamais questionner les fins. La modernité est perçue comme l’aboutissement d’un progrès technologique et scientifique qui améliore les conditions de vie tout en imposant le dépassement de la foi religieuse.
La crise terminale de la modernité
Nous assistons à la fin d’un paradigme historique. Ce n’est pas une crise conjoncturelle, mais structurelle, doublée d’une crise des valeurs et du sens. Nous avons intégré le « logiciel » de la modernité et pensons que cette ère représente l’ultime progrès humain.
Pourtant, même les défenseurs de la modernité reconnaissent que l’humanité est dans une impasse. Le discours de supériorité culturelle des États modernes, ébranlé par deux guerres mondiales et des catastrophes comme les bombes atomiques, n’a plus de sens.
L’histoire de la modernité est terminée. La hiérarchisation entre barbares et civilisés s’est écroulée.
Transcendance et communauté : les piliers d’une renaissance
Ceux que l’on traitait en « sous-hommes » présentent désormais un intérêt anthropologique et culturel. Les pays d’Afrique sont appelés pays émergents.
Les sociétés modernes cherchent des issues : spiritualité, écologie, économie solidaire, vie sans argent, ouverture aux autres cultures, valorisation de l’être plutôt que de l’avoir.
Dans son désarroi, la communauté musulmane attend un modèle de société qui la guidera. Il est temps d’assumer notre responsabilité face à ce destin.
Deux idées sont essentielles à la pérennité d’une civilisation : la transcendance et la communauté. La transcendance relativise tout savoir et replace l’homme dans sa véritable dimension. La communauté nourrit en l’homme un sentiment de responsabilité envers son propre destin et celui des autres.
La dérision de la vie moderne
La communauté musulmane, dans son attente anxieuse, doit réaliser qu’elle détient les clés pour répondre aux souffrances des sociétés modernes.
Il est temps de réfléchir aux outils à notre disposition pour penser une économie et une croissance durables, une éducation qui stimule la créativité, et une politique au service de l’intérêt commun.
Nous devons questionner le sens de notre travail et de notre consommation. En répondant à ces questions, nous réalisons la dérision de nos vies modernes.
Imaginer un monde meilleur, plus juste et plus beau n’est pas un retour en arrière, mais une nécessité pour surmonter les limites de la modernité actuelle.