Hussein Nuri : L’art comme miracle debout

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Aux origines d’un destin foudroyé

Né le 1er juillet 1954 en Iran, Hussein Nuri entre dans le monde en portant déjà en lui la marque des grandes destinées — celles qui ne se contentent pas de traverser l’existence, mais la transforment. Dès l’enfance, alors qu’il fréquente l’école primaire, le jeune Nuri se distingue par une acuité peu commune : sa main sait capter la lumière, transcrire la texture du réel, traduire le visible avec une précision qui déroute les enseignants eux-mêmes. Il embrasse sans effort la peinture académique et naturaliste, deux styles exigeants que la plupart abordent après des années d’étude. Lui, les traverse avec une aisance presque déconcertante.

Mais derrière cette maîtrise se cache déjà autre chose : un regard qui interroge, une conscience éveillée, une âme qui brûle. Ce n’est pas un simple technicien de l’image, c’est un esprit libre dans une époque qui ne supporte pas la liberté.

Le prix de la parole libre : l’artiste brisé par la tyrannie

En 1971, alors que le régime du Shah s’enlise dans sa propre paranoïa et que la révolution islamique commence à fermenter dans les esprits, Hussein Nuri ose un acte d’une rare témérité : il écrit une pièce sur les droits de l’homme. Ce geste, à première vue anodin, devient une déclaration de guerre dans un Iran sous surveillance. L’art, lorsqu’il dérange l’ordre établi, devient un crime.

La réponse du pouvoir est brutale, aveugle, méthodique. À 17 ans, Hussein Nuri est arrêté, torturé, brisé physiquement. Les coups répétés sur sa colonne vertébrale endommagent sa moelle épinière : il perd définitivement l’usage de ses bras et de ses jambes. Un tel verdict équivaudrait, pour tout autre, à une mort symbolique, à un effondrement. Mais c’est là que commence l’histoire véritable.

Peindre avec la bouche : le refus du renoncement

Là où tant d’autres auraient abdiqué, se seraient réfugiés dans le silence ou le ressentiment, Hussein Nuri fait un choix radical : il continue. Il ne se plaint pas, il ne quémande pas, il ne se retire pas. Il peint. Avec la bouche. Avec une volonté qui transcende le simple courage. Chaque toile devient une gifle au destin, une manière de dire « je suis encore debout », même cloué dans un fauteuil.

Son handicap n’est jamais un argument, jamais un artifice pour attendrir. Il est une donnée brute, affrontée avec dignité. À ceux qui voudraient le réduire à une victime ou à un symbole, il oppose le poids de l’œuvre : plus de mille tableaux à ce jour, peints dans des conditions que l’on qualifierait volontiers d’impossibles. Lui n’en fait pas un sujet. Il affirme simplement : « Je ne me suis jamais senti diminué à cause de mon handicap, car j’ai une famille et je fais ce que je veux ».

Nadia Maftuni, muse, épouse et complice

Cette phrase dit tout. Elle dit l’essentiel : la présence discrète mais essentielle de Nadia Maftuni, son épouse, sa muse, sa force tranquille. C’est elle qui l’assiste, le soutient, l’inspire. Elle qui peint elle aussi, imprégnée de cette esthétique naturaliste qu’ils partagent. Mais surtout, c’est elle qui maintient intacte la lumière intérieure de cet homme que la société aurait pu abandonner. Dans un monde qui célèbre l’individualisme narcissique, leur couple est une leçon d’amour et de collaboration.

Hussein Nuri un peintr

Le style Nuri : naturalisme habité et spiritualité plastique

Le naturalisme de Nuri n’est pas un simple retour au réel, il est un hommage au miracle du visible. Les couleurs éclatent, les matières vivent, les sujets respirent. Il ne peint pas ce qu’il voit, il peint ce qu’il vibre. La technique est rigoureuse, mais ce qui en émane est d’abord une pulsation intérieure. C’est un art incarné, viscéral, organique. L’artiste lui-même le dit : « C’est une force intérieure qui travaille pour moi. Je mets de la couleur sur une toile blanche, en réalisant un assemblage, puis je pose une autre toile de même dimension. Ensuite, je répartis les couleurs en balayant les toiles du revers de mes mains ».

Cette méthode, presque mystique, révèle un rapport à la peinture qui dépasse la composition : il y a là une forme de transe contrôlée, de dialogue entre l’âme et la matière. Il ne s’agit pas de représenter, mais de transmettre.

« La Sainte Marie » : un manifeste pictural et éthique

En 2006, alors que des manifestations embrasent le monde musulman suite aux caricatures du Prophète Mahomet, Hussein Nuri réagit. Mais pas avec des slogans ou des pierres. Avec une œuvre. La Sainte Marie, peinte en pleine mobilisation devant l’ambassade du Danemark à Téhéran, est plus qu’un tableau : c’est un manifeste. Il y rappelle, en choisissant une figure chrétienne, « combien les musulmans respectent les saintetés ». Il oppose à l’insulte la beauté, à la provocation la transcendance. Dans un climat hystérisé, il offre un contrepoint silencieux mais fulgurant.

Cette œuvre, saluée internationalement, marque un tournant : Nuri n’est plus seulement un artiste de l’intime, il devient un acteur de la scène symbolique mondiale.

Hussein Nuri un peintre hors du commun3

Le style « Réflexion » : l’âme comme miroir du monde

Au début des années 2000, une nouvelle voie s’ouvre : Nuri invente le style qu’il nomme « Réflexion ». Ce n’est plus seulement l’œil qui guide la main, mais le cœur qui éclaire l’esprit. Inspiré par un verset du Coran évoquant le lien entre intériorité et extériorité, ce style mêle géométrie, symboles, abstractions vibrantes. Son fils, dans une interview donnée lors d’une exposition à Alger, explique que ces œuvres sont l’expression d’une spiritualité incarnée, d’un regard qui plonge au-delà des apparences.

On y devine l’influence soufie, cette manière subtile de dire que toute forme visible est le reflet d’une réalité cachée. L’art, chez Nuri, devient méditation. Chaque trait est une prière silencieuse, chaque couleur une vibration de l’âme.

L’international : une reconnaissance sans compromission

Malgré son ancrage en Iran, Hussein Nuri n’est pas un reclus. Il a exposé à travers le monde : Chine, France, Algérie, Lituanie… Les invitations se multiplient, les récompenses aussi. Mais, fidèle à sa nature, il reste humble. Les honneurs glissent sur lui comme l’eau sur la toile. Il ne cherche ni la reconnaissance mondaine ni l’adhésion facile. Il poursuit sa quête. Sans compromis. Sans démagogie.

Et surtout, il refuse de quitter son pays. Il aurait pu fuir, obtenir l’asile, rejoindre les capitales où l’on encense l’exotisme à défaut de comprendre l’essence. Il reste. Non par soumission, mais par fidélité. À son peuple, à sa terre et à la vérité.

« Je suis libre et heureux en Iran », déclare-t-il. Une phrase simple, qui en dit long sur la liberté véritable : celle qui ne dépend ni des circonstances ni des apparences.

Un artiste, un homme, un message

Hussein Nuri est bien plus qu’un artiste. Il est une leçon d’humanité. Il incarne cette idée que la beauté ne se mesure pas aux moyens, mais à la vérité du geste. Qu’un corps brisé n’empêche pas une âme de voler. Qu’un homme peut être cloué dans un fauteuil et pourtant tenir tête à un monde entier, non par la violence, mais par la lumière.

Son œuvre est une réponse permanente à la brutalité de l’Histoire. Elle ne nie pas la souffrance, elle la transfigure. Elle ne fuit pas la réalité, elle l’élève.

Conclusion : L’éclat d’une résistance intérieure

Dans un monde où l’art se réduit trop souvent à un outil de provocation ou de marketing, Hussein Nuri nous rappelle que la création peut être un acte de résistance, de foi, de beauté pure. Il est de ces rares artistes dont l’œuvre n’est pas seulement esthétique, mais existentielle. Un cri sans haine. Un espoir sans naïveté. Une lumière, non pas aveuglante, mais habitée.

Et si son corps a été brisé, jamais son esprit ne l’a été. C’est peut-être là la plus belle définition de la liberté.

 

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