Profession de foi
La pensée n’a pas besoin d’être majoritaire pour être juste. Elle a besoin d’être tenue.
Écrire ne suffit pas. Cela ne fait pas plier un ministre, cela ne désarme pas un pouvoir, cela ne transforme pas une idéologie. Et pourtant, il faut écrire.
Il faut écrire quand le langage est confisqué, quand les mots deviennent des instruments de gestion ou des leviers d’adhésion, quand les termes de la critique sont recyclés pour renforcer ce qu’ils prétendaient combattre. Il faut écrire quand le silence devient la condition de la respectabilité, quand l’indignation devient posture, et la nuance, faiblesse.
Je n’écris ni pour convaincre les détenteurs du pouvoir, ni pour rassurer ceux qui s’en accommodent. J’écris pour nommer ce qui doit l’être, pour désigner ce que l’on préfère dissimuler, pour maintenir la tension là où tout pousse à la normalisation.
Une ligne de fracture
Ces textes ne visent ni l’adhésion ni le consensus. Ils posent une ligne : une ligne de refus, une ligne de fracture, une ligne de lucidité. Car si la critique ne transforme pas le monde, elle empêche de s’y conformer sans réserve. Elle empêche la collaboration passive. Elle empêche l’oubli volontaire. Écrire, ici, c’est refuser.
Ce refus n’est pas une posture de surplomb. Il s’enracine dans un rapport concret au langage, à la pensée, à la réalité. J’écris parce que l’écriture est une discipline, pas une distraction. Parce qu’elle exige. Parce qu’elle se travaille, comme on polit un outil. J’écris comme on résiste : sans garantie de résultat, mais avec la certitude que ne rien faire serait pire.
Une pratique ouverte, jamais réservée
L’écriture n’appartient à personne. Elle n’est pas le privilège d’une classe, d’un capital culturel, d’un héritage social. Elle est un espace de travail, de lente conquête. Ce n’est pas en naissant qu’on devient écrivain, c’est en écrivant. Pas pour paraître, mais pour comprendre. Pas pour occuper un territoire, mais pour ne pas le laisser à ceux qui le falsifient.
Je me souviens de cette époque où ma mère, comme tant d’autres, révérait le simple fait de savoir écrire. Elle l’élevait au rang d’art, elle y voyait un outil d’émancipation. Aujourd’hui encore, je croise tant de femmes et d’hommes qui n’osent pas écrire, qui se censurent avant même d’avoir commencé. Ils cherchent une autorisation, une recette, un droit d’entrée. Mais personne ne naît écrivain. Ce n’est pas un don, c’est une discipline. C’est par l’exercice qu’on trouve sa voix, sa phrase, son souffle.
Trouver sa voix par l’effort
Je leur dis souvent : vous deviendrez écrivant le jour où vous accepterez d’écrire sans garantie. Quand vous cesserez de chercher des phrases parfaites et que vous commencerez à poser des mots vrais. C’est en noircissant des feuilles que l’on dompte l’écriture. C’est en se confrontant à la rigueur des mots qu’on accède à une forme de vérité, à sa propre justesse.
Écrire face au bruit du monde
Et puis il y a le monde. Celui qu’on observe, qu’on traverse, qui nous meurtrit et nous appelle. J’ai écrit pendant vingt ans dans l’ombre du tumulte : guerres, mensonges, catastrophes, élans, trahisons. J’ai lu les discours, déchiffré les silences, désossé les euphémismes. J’ai cherché la cohérence là où on ne proposait que du bruit.
Quand le Moyen-Orient s’enflammait, je m’efforçais de comprendre les racines, pas seulement les flammes. Quand la France vacillait, je scrutais les marges, les silences des quartiers abandonnés. Quand la langue publique se vidait de sens, je notais les mots qui servaient à masquer plutôt qu’à désigner. Quand les catastrophes naturelles ou humaines fauchaient des vies, je notais ce que personne ne disait, là où l’attention fuyait déjà ailleurs.
Ce que vous lirez ici
Ce que vous allez lire ici, ce sont ces textes. Travaillés, relus, persistants. Ils ne cherchent pas à plaire. Ils ne cherchent pas l’adhésion. Ils visent la clarté. Ils s’ancrent dans une idée simple : il faut écrire même si cela ne suffit pas. Il faut écrire pour ne pas se rendre. Il faut écrire pour continuer à penser. Il faut écrire pour que ceux qui viennent sachent qu’on n’a pas tout laissé passer sans rien dire.
Une orientation, pas un programme
Une profession de foi, donc. Pas un manifeste. Pas une stratégie. Une ligne. Une orientation. Et une résolution : dire ce qui doit être dit, quand bien même cela n’aurait d’effet qu’en soi.