Analyse politique du vote de la loi du 15 mars 2004
Page annexe – Analyse politique du vote de la loi du 15 mars 2004
Le vote du projet de loi sur les signes religieux à l’école fut l’un des plus massivement consensuels de la Ve République. Derrière cette façade d’unanimité nationale, se cache en réalité une convergence d’intérêts politiques, électoraux et idéologiques, qui mérite d’être dépliée avec rigueur.
Les chiffres du vote à l’Assemblée nationale (10 février 2004)
Sur les 577 députés, 494 votèrent pour le texte, 36 contre, 31 s’abstinrent, et 16 ne prirent pas part au vote. L’analyse par groupes parlementaires révèle les points suivants :
Groupe politique | % de votes POUR | Analyse |
---|---|---|
UMP (droite gouvernementale) | 90,65 % | Soutien massif à la loi, portée par leur gouvernement (Raffarin). Seuls 9 députés votent contre. |
PS (opposition de gauche) | 93,95 % | Adhésion encore plus forte qu’à droite. Seuls 4 députés votent contre, révélant une ligne dure sur la laïcité dite « républicaine ». |
UDF (centre droit) | 43,33 % | Vote plus partagé, montrant une certaine gêne ou prudence sur la restriction des libertés individuelles. |
PCF (gauche radicale) | 31,81 % | 1/3 seulement des députés votent pour. Le reste s’abstient ou vote contre : la sensibilité aux libertés minoritaires est plus affirmée. |
Source : document interne « LOI 15 MARS – ANALYSE DU SCRUTIN » (mars 2004)
Une union sacrée autour d’un texte clivant
Le plus frappant dans ce vote est l’effacement des clivages traditionnels gauche/droite. La loi, initiée par un gouvernement de droite, reçoit un soutien majoritaire à gauche, au nom d’une conception « républicaine » de la laïcité. C’est l’illustration d’une laïcité disciplinaire, qui cherche non pas à protéger les consciences, mais à en circonscrire l’expression publique.
Un vote marqué par la pression médiatique et électorale
Le consensus est aussi le produit d’un contexte électoral tendu (approche des élections régionales et européennes de 2004), d’une forte pression médiatique sur la question du foulard, et d’une volonté partagée de donner des gages à un électorat inquiet du « communautarisme ».
La marginalisation des voix dissidentes
Seules quelques voix isolées s’élevèrent, souvent issues de formations minoritaires ou de députés indépendants. Celles-ci furent peu audibles dans le tumulte médiatique. Elles exprimaient cependant une inquiétude légitime : celle de voir la République renier ses propres principes sous couvert de les défendre.
Cartographie des votes – Loi du 15 mars 2004 (Assemblée nationale, 10 février 2004)
1. Ont voté POUR la loi (494 députés)
UMP (Union pour une Majorité Présidentielle)
- 346 députés sur 382 votent pour.
- Exemples : Nicolas Sarkozy, François Fillon, Jean-Louis Debré, Jean-François Copé, Christine Boutin.
PS (Parti socialiste)
- 139 députés sur 148 votent pour.
- Exemples : François Hollande, Manuel Valls, Julien Dray, Arnaud Montebourg, Ségolène Royal.
UDF (Union pour la Démocratie Française)
- 13 députés sur 30 votent pour.
- Exemples : Gilles de Robien, André Santini.
PCF (Parti communiste français)
- 7 députés sur 22 votent pour.
- Exemples : André Gerin, Jean-Claude Lefort.
Autres (divers droite et divers gauche)
-
Quelques députés non-inscrits ou indépendants ont voté pour.
2. Ont voté CONTRE la loi (36 députés)
UDF
- François Bayrou
- Hervé Morin
- Jean Dionis du Séjour
- Rudy Salles
- Anne-Marie Comparini
- Alain Madelin (Libéraux indépendants)
Les Verts
- Noël Mamère – « Cette loi stigmatise une population déjà discriminée. »
- Martine Billard
- Yves Cochet
PCF
- Patrick Braouezec
- Alain Bocquet
- Jean-Pierre Brard
PS
- Catherine Génisson – « La laïcité ne doit pas devenir un instrument de coercition. »
- Christian Hutin
Divers gauche
- Georges Hage
- André Lajoinie
3. Se sont abstenus (31 députés)
- Une partie du groupe UDF
- Plusieurs députés du PCF (dont Maxime Gremetz)
- Quelques députés socialistes critiques
-
Ces abstentions révèlent des réserves sur le fond, mais aussi une certaine conformité stratégique pour ne pas rompre l’unité partisane.
4. N’ont pas pris part au vote (absents) (16 députés)
-
Parmi eux : Jack Lang, Henri Emmanuelli, Christine Albanel.
L’absence au vote ne signifie pas toujours une opposition ou un soutien tacite, mais peut traduire un désengagement prudent ou une volonté d’éviter un positionnement clair.
5. Voix dissidentes notables – Citations publiques
- Noël Mamère (Verts) : « On confond neutralité de l’État et effacement des croyances. »
- François Bayrou (UDF) : « Le respect de la laïcité ne saurait justifier une atteinte aux libertés individuelles. »
- Catherine Génisson (PS) : « La République, ce n’est pas l’uniformité. C’est la pluralité reconnue. »