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Cimetières musulmans et COVID-19. Quelles solutions face à une situation critique anxiogène ?

Terre ancestrale ou carré musulman ?

Jusqu’en 1934, le sort des musulmans morts dans l’Hexagone était ignoré. Leurs corps étaient renvoyés au pays pour être inhumés dans le sol chaud de leur terre natale. Le décret présidentiel du 4 janvier 1934 a changé cela. Il autorise la création du cimetière musulman privé de Bobigny pour accueillir les soldats musulmans combattants de la Première Guerre mondiale.

Cimetières musulmans

En dérogation à la loi du 14 novembre 1881 qui interdit tout regroupement par confession sous forme de séparation matérielle du reste du cimetière, ce cimetière, ensuite ouvert à d’autres musulmans, est en fait une annexe de l’Hôpital franco-musulman de Paris. Il fait partie d’une vaste opération liée à la célébration du centenaire de la conquête de l’Algérie. Cette opération comprend la création de la mosquée de Paris (1926), de l’hôpital franco-musulman Avicenne (1935) et de ce cimetière. Ces réalisations rendent hommage au sacrifice des soldats coloniaux mobilisés pendant la Première Guerre mondiale. Elles servent aussi de gage aux populations coloniales déjà tentées par l’indépendance.

Dès 1957, malgré l’annexion de certains carrés, le cimetière atteint la saturation. Après un temps sous la tutelle de l’Administration générale de l’assistance publique de Paris, le cimetière musulman perd en 1997 son statut privé. Il est cédé au cimetière intercommunal de la Courneuve, dont il devient une extension. Le cimetière musulman est alors devenu un carré musulman.

Depuis, les entreprises de pompes funèbres et les carrés musulmans se sont multipliés. Sur les 40 000 cimetières existants, seulement 600 proposent un carré musulman, soit 1,5 % de la totalité, un chiffre dérisoire au regard du nombre de citoyens de confession musulmane en France.

COVID 19, un terrible révélateur ?

La pandémie du COVID-19 a révélé les limites de cette organisation centenaire. Ces lopins de terre ne suffisent plus à accueillir les dépouilles des victimes du virus, contraintes d’être enterrées en France en raison des mesures sanitaires interdisant le transfert des corps à l’étranger.

Si la vie de la majorité des musulmans d’origine afro-maghrébine n’est pas un modèle de réussite économique et sociale, ils ont le droit de souhaiter une sépulture digne et conforme à leurs convictions religieuses. Pourquoi ne pas créer leurs propres cimetières ?

Que dit la loi ?

Les lois relatives à l’inhumation des corps reposent sur deux principes. Le premier est la neutralité des cimetières, qui interdit tout regroupement par confession sous forme de séparation matérielle (loi du 14 novembre 1881). Le second est la laïcité des lieux d’inhumation, qui interdit la création de nouveaux cimetières confessionnels ou l’agrandissement des existants (art. 28 de la loi du 9 décembre 1905). En l’état, la création de cimetières confessionnels et l’acquisition de terrains pour des cimetières privés ne sont pas possibles.

La circulaire du ministre de l’Intérieur du 19 février 2008 rappelle qu’il n’est plus possible de créer de nouveaux cimetières privés ou d’agrandir ceux qui existent. Cette interdiction avait été posée par le Conseil d’État dans son arrêt du 18 août 1944, Sieur Lagarrigue.

Trois exceptions ?

  • le cimetière musulman de Saint Denis de la Réunion inauguré en 1911
  • le cimetière musulman de Bobigny, inauguré en 1937,
  • le cimetière musulman de Strasbourg privé, inauguré en 2012,

Ces trois cimetières ont-ils « dérogé » à ces règles drastiques ?

Le cimetière de Strasbourg a bénéficié du droit local en Alsace-Moselle, non transposable au reste de la France.

Le cimetière musulman de Saint-Denis de la Réunion a été créé grâce à l’achat d’un terrain par un commerçant gujarati en 1911, avant que l’île ne devienne un département français. Ce cas ne peut faire jurisprudence.

Le cimetière musulman de Bobigny a été autorisé par un décret présidentiel en 1934. La question reste de savoir si une telle décision politique serait possible aujourd’hui.

Des solutions viables ?

  • Faire pression sur les élus locaux pour instaurer ou agrandir des carrés musulmans, en présentant cela comme une question de santé publique.
  • Faire pression sur le gouvernement pour émettre un décret autorisant la création exceptionnelle d’un cimetière musulman.
  • Envisager l’achat de concessions familiales et en faire la demande auprès des mairies.

Cimetières musulmans et COVID-19. Quelles solutions ?

Que faire si les rapatriements ne sont plus autorisés et que les carrés musulmans sont saturés ? Les corps finiront-ils dans des terrains communs faute de place ?

Il faut par ailleurs tenir compte d’un autre paramètre observable. Les jeunes générations de musulmans, nées en France, et ayant leurs ascendants ainsi que leurs descendants en France n’envisagent pas, pour des raisons financières ou affectives, leur rapatriement après décès.

Cette pandémie est, semble-t-il, la triste occasion de laisser apparaitre au grand jour le nième problème. Qui s’ajoute à la longue liste des problèmes que la communauté musulmane de France n’a toujours pas résolus faute de… tellement de choses.

Il faut aujourd’hui se contenter d’espérer que ces dépouilles humainement sacrées ne finissent pas dans un terrain commun faute d’argent, par déficit familial, par négligence, ou tout simplement parce que les carrés musulmans auront été saturés par une nième vague d’épidémie mortelle.

Les jeunes générations de musulmans, nées en France, préfèrent rester enterrées en France pour des raisons financières ou affectives. La pandémie a mis en évidence un problème de plus pour la communauté musulmane de France. Il faut espérer que ces dépouilles humainement sacrées ne finissent pas dans des terrains communs faute d’argent, par déficit familial, négligence ou saturation des carrés musulmans.


[0] Article Wikipedia

[1] https://carolinel3fle.wordpress.com/2018/06/24/le-cimetiere-musulman-de-saint-denis/, Mais

[2] Wikipédia

8 réflexions sur “Cimetières musulmans et COVID-19. Quelles solutions face à une situation critique anxiogène ?

  • Excellent article, au lendemain du confinement la grande mosquée de Strasbourg avait interpellé une dizaine de commune du bas Rhin pour les sensibiliser à la création de carrés musulmans, la surprise des agents municipaux étaient grande car personne ne s’attendait à cette vague de décès, fort heureusement le maire de Strasbourg avait déclaré que si des communes ne pouvaient agrandir ou créer de carré, le cimetière public musulman était prêt pour accueillir dans la dignité les défunts de confession musulmane, pour infos il n’est pas candidat à un second mandat. Qu’il en soit remercié

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  • Nous somme aussi français est musulman mercis de penser à toutes les religions

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  • Enfin les dessous de l affaire mis au grand jour !
    Merci pour cette plume toujours criante de vérité appelant à l action en toute connaissance.

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  • Franchement madame je sais pas quoi dire votre article il est trop bien vous avez tout dis dedans et c’est exactement ce dont les musulmans avaient besoin en ce moment MachaAllah

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  • Je trouve cet article intéressant mais surtout pertinent. En effet, ce n’est pas un sujet dont on en parle tous les jours. On se doit de sensibiliser les gens sur ce point. De une, tout le monde va avoir à mourir un jour ou l’autre. De deux, si on meurt, on a besoin d’une sépulture digne. Par exemple, moi, je n’étais pas du tout au courant de toutes ces manigances du gouvernement français.
    Qu’Allah nous permette à tous d’être enterrés convenablement, qu’il nous épargne les tourments de la tombe et nous fasse rentrer dans son Paradis par Sa Miséricorde آمين

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  • الله ينورك بنوره
    Excellent article!
    Il s’agit d’un gros problème. Mais qui peut résoudre ce problème ? Qui même se penchera sur ce problème ?

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  • N’arriverons nous pas à nous unir face à la mort ? A quand le lobby constructeur musulman en Europe ?

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    • Merci encore pour vos écrits que je trouve à chaque fois tellement inspirants et qui me permettent de nombreuses réflexions. Je ne vous cache pas que tout ce qui a été dit dans l’article était complètement nouveau pour moi. Je ne m’étais jamais penchée sur le sujet, avant cette période, alors qu’on entend à de nombreuses reprises « carré musulman », mais cela ne m’avait jamais interpellé. Je ne pensais pas qu’il y avait une réelle problématique derrière, mais nous sommes en France cela ne m’a pas forcément étonné finalement de le découvrir. Je n’ai jamais entendu parlé du sujet. Faute à qui je ne sais pas, je n’accuse personne. Or, avec cette pandémie j’y ai réfléchis une ou deux fois sans plus approfondir. Mais le sujet m’est venu à plusieurs reprises en tête mais je ne savais pas si je pouvais réellement y réfléchir et est ce que j’allais trouver des réponses. Et sans mentir je n’ai pas poussé la réflexion plus loin. Et voilà que votre article arrive. Je ne savais même pas comment réagir en voyant le titre .
      Je vous remercie à nouveau, ça m’a fait en plus tellement plaisir de lire un de vos nouveaux écrits. Merci de nous partager votre avis à chaque fois très agréable sur les sujets de notre quotidien et sur lesquels chacun d’entre nous devrait réellement y penser.

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